Hommes/femmes : la dernière fracture dans l'Eglise ?

Le sujet est, parfois, brûlant au sein des Eglises évangéliques. Pour certains, la question constitue même un marqueur évangélique, une ligne de démarcation. Comme si la vision dite "complémentarienne" (1) était la seule vision biblique légitime ! Evidemment, je ne vais pas pour autant dire, à l'inverse, qu'une lecture "féministe" de la Bible devrait devenir un marqueur évangélique... On peut être pleinement évangélique avec l'une ou l'autre approche. Mais ça ne m'empêche pas d'avoir des convictions dans ce domaine, et même sans doute de plus en plus affirmées.

Ces convictions reposent en premier lieu sur une affirmation massive de l'apôtre Paul, dans son épître aux Galates. Dans ce qui est sans doute l'apogée de son épître, il affirme avec force :

"Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ."
(Galates 3.28)

Il y a, dans ce texte, trois fractures sociales qui affectaient l'Eglise au temps de l'apôtre, et qui ont alimenté de nombreuses pages des épîtres du Nouveau Testament : entre Juifs et païens, entre esclaves et hommes libres et entre les hommes et les femmes. L'Évangile a conduit à la disparition dans l'Eglise des deux premières fractures, entre Juifs et Grecs, entre esclaves et hommes libres... mais pas la troisième !

En effet, la fracture entre Juifs et païens n'est plus un problème théologique depuis le concile de Jérusalem (Actes 15)... même s'il a fallu encore pas mal de temps, en pratique, pour que cela se concrétise vraiment dans les Eglises. On le voit à travers les épîtres du NT qui abordent, par exemple, les questions liées à la circoncision, au respect des fêtes ou au problème de la consommation de viandes sacrifiées aux idoles.

La fracture entre esclaves et hommes libres n'est plus un problème dans l'Eglise. Même si l'intolérable justification théologique de l'esclavage a duré beaucoup trop longtemps... mais il ne viendrait à l'idée de personne aujourd'hui de justifier bibliquement l'esclavage au nom des prescriptions de l'apôtre Paul à l'égard des maîtres et des esclaves chrétiens !

Mais la fracture entre les hommes et les femmes me semble bien être encore un problème aujourd'hui dans l'Eglise. Comment comprendre, sinon, que tous les ministères ne sont pas accessibles aux femmes... simplement parce que ce sont des femmes ? Notons bien que la question se pose, certes, dans les églises évangéliques, mais aussi dans l'Eglise catholique et les Eglises orthodoxes (avec la non ordination des femmes). Elle se pose même en dehors de l'Eglise, y compris en France (inégalité salariale, sous-représentation dans les sphères du pouvoir...).

On ne peut pas se satisfaire de cet état de fait... Car je récuse l'argument selon lequel l'accession pour les femmes à tous les ministères dans l'église serait une concession faite à la modernité. J'ai, au contraire, la conviction que c'est une conséquence légitime de l'Évangile. Et nul besoin, pour le démontrer, de recourir aux arguments de certains prétendant que Paul était misogyne et qu'il faudrait expurger du texte biblique certaines de ses phrases qu'on ne peut plus entendre aujourd'hui. Je suis évangélique et à ce titre je veux garder à toute l'Ecriture sa pleine autorité.

Dans son affirmation en Galates 3, l'apôtre Paul énonce un principe fondamental, lié à la nature même de l'Évangile ! Il me semble donc légitime de voir les recommandations dans les autres épîtres à la lumière de ce principe et non l'inverse... Or l'apôtre ne s'est pas privé d'affirmer haut et fort qu'une distinction dans l'Eglise entre chrétiens d'origine juive et chrétiens d'origine païenne était intenable. Par ailleurs, les recommandations qu'il donne aux maîtres d'esclaves chrétiens et, surtout, l'étonnante épître à Philémon, contiennent déjà en germe la fin de l'esclavage. Quant aux quelques paroles citées abondamment pour interdire l'accès à certains ministères aux femmes, elles doivent être remises dans leur contexte. Et on doit aussi considérer les exemples bibliques où des femmes ont clairement joué un rôle d'enseignante (comme Priscille par exemple), et les mentions dans les salutations à la fin des épîtres de nombreuses femmes, collaboratrices de l'apôtre et parfois manifestement en position d'autorité (2).

Il y a dans la subsistance dans l'Eglise de cette troisième fracture un goût d'inachevé, l'impression que l'Evangile n'a pas encore pleinement opéré dans l'Eglise son potentiel de libération. Je pense aussi, malheureusement, que les chrétiens créent encore de nouvelles fractures dans l'Eglise (entre les générations, entre les origines sociales ou ethniques, entre certaines formes de piété...). Et il me semble que toutes ces fractures, y compris l'interdiction aux femmes d'accéder à certains ministères dans l'Eglise, peuvent agir comme un contre-témoignage à l'Evangile.

______
(1) Dans laquelle l'homme et la femme ont des rôles spécifiques et différenciés à tous les niveaux (social, familial, dans l'Eglise...)
(2) Voir par exemple l'excellent article de Valérie Duval-Poujol à propos de Junia, femme apôtre : https://point-theo.com/junia-femme-apotre/

Commentaires

  1. Voici une réflexion très intéressante de Paul Wells à ce sujet :

    1 Timothée 2 et 1 Corinthiens 11 parlent du culte de l’Eglise. Dans 1 Timothée 2 et 3, la femme ne doit pas occuper la charge “d’episkopos-didaktikos”, assumer l’office de celui qui conduit l’ assemblée dans la prière, la prophétie et l’instruction. Le fait que l’apôtre fait référence à la soumission et à la loi dans 1 Corinthiens 14 indique que son argument concerne non pas n’importe quelle façon de parler, mais le fait de parler quand on a une position de responsabilité (ou d’autorité).

    Ceci ne veut pas dire, bien sûr, que la femme ne peut pas prier ou prophétiser. La restriction concerne ces fonctions exercées officiellement par le responsable de l’assemblée. Si tous peuvent prophétiser selon 1 Corinthiens 14.23- 24, il s’agit ici d’un charisme donné à tous et qui n’implique pas une position d’autorité dans l’assemblée. 14.33b renvoie à 11.16 et aux traditions établies (voir aussi la question rhétorique dans 14.36). Dans ce cas, le silence des femmes indique non les charismes, mais la charge de conduire l’assemblée. (…) La femme, sans aspirer à devenir responsable de l’Eglise, doit accomplir sa vocation créationnelle de vis-à-vis (qui comprend, mais ne se limite pas, à celle d’épouse et de mère de famille, à laquelle est associée son «salut»: 1 Tim 2.15).

    La personne de “l’episkopos” doit renforcer le principe fondamental du couple, non le contraire. L’exercice par une femme de l’ autorité sur les hommes-époux dans l’Eglise implique un renversement de la structure de responsabilité au sein du couple et des familles de l’Eglise; il dévalorise, en même temps, la maternité des femmes qui sont mères.

    “Le souci de Paul n’est pas culturel et superficiel. Ce qui se passe dans l’Eglise ne doit pas renverser ou dévaloriser les rôles et donc les relations, enracinés dans la création de Dieu, qui appartiennent respectivement aux hommes -époux et pères -et aux femmes -épouses et mères.” (Barrett dans Evangelical Quarterly, 1989,237)

    (Revue Promesse n° 116 (http://www.promesses.org/arts/116p21-31f.html))

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    1. Evidemment, je ne partage pas le point de vue de Paul Wells... Je ne comprends pas son argumentation sur la "structure de responsabilité au sein du couple" et, surtout, la "dévalorisation de la maternité des femmes" !

      Je ne comprends pas non plus comment on peut prétendre que les propos de Paul n'ont pas une dimension culturelle ici (1 Corinthiens)... alors qu'on l'acceptera, dans la même épître, pour la question du voile ! Et comment sous-entendre que ce souci culturel est forcément superficiel ?

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  2. Pour terminer, voici la conclusion très pertinente de Paul Wells :

    Ces textes bibliques n’ont pas pour contexte la culture, mais la création et la christologie. Ils sont donc transculturels et, ainsi, ne se périment pas dans l’Eglise, où l’ordre créationnel n’est pas gommé, mais restauré et purifié. Ils indiquent que le rôle d’autorité et d’enseignement dans le culte public incombe à l’homme et que la femme ne peut pas y accéder sans déshonorer son “chef”.

    Ils ne traitent pas de coutumes locales, mais de traditions qui remontent à Jésus ou, au moins, aux apôtres; ils sont donc d’application générale: pour toute l’Eglise. Ils ne dévalorisent pas la femme, car ils concernent non sa nature, mais sa fonction. Les respecter ouvre, au contraire, la voie à l’exercice d’une diversité de ministères, autres que celui de conducteur-pasteur, qui soient utiles et bienfaisants pour toutes et tous dans l’Eglise.

    S’écarter de l’enseignement biblique à cet égard me semble grave pour deux raisons:

    – ce serait modifier le fondement apostolique de l’Eglise;

    – ce serait permettre que s’établissent de nouvelles structures de relations entre les femmes et les hommes dans les autres domaines de la vie, surtout dans la famille, au sein de laquelle la subordination de la femme n’est rien moins qu’un modèle de comportement christique… comme c’est aussi le cas dans l’Eglise;

    – ma conviction en ce qui concerne le pastorat féminin est fondée sur trois textes, interprétés selon l’analogie avec d’autres textes bibliques (avant tout ceux de la Genèse, Ephésiens 5 et 1 Pierre 3.1- 7) traitant le rapport créationnel homme-femme et la nature du ministère consacré. Ce fondement, s’il peut sembler mince, est néanmoins largement suffisant. Aucun texte sur le ministère dans l’Eglise permettant aux femmes de devenir anciens-enseignants ne lui est, en effet, opposable. Est-il permis de modifier les structures de l’Eglise sans une raison biblique explicite (voir 1 Corinthiens 14.36-38)?

    Arguer du silence de l’Ecriture sur le pastorat féminin ne revient-il pas à supposer que celle-ci est insuffisante sur ce sujet? Pouvons-nous remplacer son message explicite pour des raisons “culturelles et sociologiques”, finalement très faibles, sans contrecarrer l’autorité de l’ Ecriture sur ce point? N’est-ce pas en adoptant une herméneutique relativiste sur une question que nous nous ouvrons au pluralisme sur toutes les autres?

    (Revue Promesse n° 116 (http://www.promesses.org/arts/116p21-31f.html))

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    1. Forcément, je ne trouve pas non plus la conclusion de Paul Wells très pertinente... Modifier le fondement apostolique ! Vraiment ?

      Je conteste aussi l'argument selon lequel la défense du ministère pastoral féminin reposerait sur un silence de l'Ecriture ! Pour moi, Galates 3.28 "crie" au contraire très fort dans ce sens ! ;) Je me suis d'ailleurs toujours demandé pourquoi les opposants au ministère pastoral féminin occultent Galates 3.28...

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    2. Galates 3.28, pris dans son contexte, ne peut être compris dans une optique féministe, Paul souligne premièrement que le sexe, la nationalité, la condition sociale ne jouent aucun rôle dans notre accès au salut et être ainsi héritier selon la promesse. Cette affirmation "il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ." ne s'oppose pas l'ordre créationnel.

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    3. OK... Sauf que, si la distinction Juifs / Grecs était bien un problème quant à l'accès au salut, dans le contexte de l'Eglise de Galatie, et celle plus largement du NT, personne ne suggérait que les esclaves ou les femmes n'avaient pas accès au salut ! Il me semble donc évident que l'affirmation de Paul ici déborde la question de l'accès au salut.

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  3. Bonjour Vincent, attention à la lecture «nivellante» qui donnerait trop de poids à cette déclaration de Paul en regard d'autres textes. Me touche le plus le premier duo cité par l'apôtre: la fracture entre Juifs et croyants issus des nations est tout sauf réglée, dans le sens où les Juifs ont été simplement absents des églises grosso modo entre 150 et 1967; et même depuis reste dans l'église une vision dominante qui considère que les Juifs doivent épouser un Évangile apatride (où les nations ne jouent pas de rôle et un Jésus sans passeport. Fracture il y a bien humainement à cause de l'actualité. Et différenciation il y a bien aussi fondamentalement: le Juif garde une responsabilité supérieure dans l'Alliance même étendue aux nations et un destin qui le met à part, lui et les siens, des nations, lors même qu'il a accepté la messianité de Jésus de Nazareth. Ce principe de différenciation vaut aussi pour les hommes et les femmes, quoique différemment. L'accès à la vie divine se fait par les mêmes moyens, qui qu'on soit, mais le rôle, la place et la responsabilité dans l'œuvre divine reste différenciée, quoique sans doute égale en valeur, selon qu'on soit de la chair d'Abraham ou seulement de la foi d'Abraham, de la chair d'Adam ou de celle d'Ève. Je vais même plus loin dans la mystique biblique: il y a une fécondité spirituelle qui nécessite l'altérité, tant pour ce qui concerne l'homme et la femme, que pour ce qui concerne Israël et les nations. Un enrichissement mutuel rendu inopérant dès lors qu'il voudrait être vécu par deux entités pures semblables. Merci de cette possibilité donnée d'intervenir en dialogue sur ces questions sensibles.

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    1. Merci pour ce commentaire et l'esprit de dialogue qui s'en dégage. Je ne suis probablement pas prêt à aller aussi loin que vous dans la "mystique biblique" (et cette lecture ne peut certainement pas s'appliquer à la distinction esclaves/libres !). Mais ce que vous dites de la fracture entre croyants d'origine juive et d'origine païenne est intéressant. Dans cette optique, l'accord théologique d'Actes 15 a mis, en effet, beaucoup plus de temps que cela...

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