La tentation du Notre Père

Le 3 décembre prochain, la nouvelle version du Notre Père entrera officiellement en vigueur dans l'Eglise catholique. A l'approche de cette date, une chronique radio d'un philosophe médiatique, Raphaël Enthoven, a animé les réseaux sociaux (avec la « finesse » qu'on leur connaît...). Son interprétation pour le moins discutable, aux accents complotistes regrettables, prétend qu'en ôtant le verbe "soumettre", l'Eglise catholique se montrerait sournoisement islamophobe (puisque le mot Islam signifie soumission !). Il faut avouer que j'ai déjà entendu le philosophe être plus inspiré...

Car le débat sur cette demande du Notre Père n'a évidemment rien à voir avec l'islamophobie. La demande devient "Ne nous laisse pas entrer en tentation" (à la place de "Ne nous soumets pas à la tentation"). Mais sa traduction n'est pas évidente. Pour s'en convaincre, il suffit de lire les différentes versions françaises de la Bible :

  • "Ne nous conduis pas dans la tentation" (TOB)
  • "Ne nous laisse pas entrer dans la tentation" (Colombe)
  • "Ne nous fais pas entrer dans l'épreuve" (Nouvelle Bible Segond)
  • "Ne nous expose pas à la tentation" (Français Courant)
  • "Ne permets pas que nous soyons tentés" (Parole de Vie)
  • "Ne nous expose pas à la tentation" (Semeur)
  • Il n'y a guère que la Bible de Jérusalem (catholique) qui utilise "Ne nous soumets pas à la tentation", version officielle du Notre Père depuis 1966...  Toutes les autres traductions françaises vont donc déjà dans le sens de la nouvelle traduction proposée. 

Lorsque la décision du changement du Notre Père a été prise, des voix protestantes se sont élevées pour dénoncer, non pas le changement de traduction en lui-même mais ce qu'ils estimaient être une méthode unilatérale des évêques de France. Etait-ce vraiment nécessaire ? En tout cas, l'Eglise Protestante Unie de France a choisi, lors de son synode de 2016, d'adopter cette nouvelle traduction, justement dans un souci oecuménique.

Chez les évangéliques... on n'en a pas parlé ! En tout cas, je n'ai pas souvenir d'avoir lu quoi que ce soit sur le sujet sous une plume évangélique... Peut-être parce que, malheureusement, le Notre Père est rarement voire pas du tout prié dans nos Eglises évangéliques ! A part une ou deux fois par an quand ils participent, pour certains, à une célébration oecuménique. Souvent, les évangéliques ont tellement peur du formalisme liturgique qu'ils s'interdisent de réciter une prière (pour certains, le simple fait qu'une prière ne soit pas improvisée est un sacrilège !)... alors même que les prières spontanées des cultes évangéliques utilisent souvent les mêmes formules, créant de fait une liturgie qui peut facilement devenir du formalisme. Le Notre Père, au moins, vient de la Bible, et est enseigné par Jésus lui-même...

Alors si l'initiative des évêques de France était l'occasion de redécouvrir la richesse liturgique du Notre Père, une prière commune, dite à l'unisson, dans nos cultes évangéliques, nous pourrions leur dire merci ! Et amen !

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[Edit] On m'a signalé, et c'est un oubli de ma part, que le comité théologique du CNEF avait publié un document, essentiellement exégétique, sur la question. http://lecnef.org/documents-pdf/func-startdown/106/

Commentaires

  1. Merci Vincent pour cet article. Finalement les catholiques se sont ralliés aux traducteurs de la Bible à la Colombe !
    Le CNEF semble préférer "Ne nous conduis pas dans la tentation", à l'instar d'une traduction allemande "Führe uns nicht in Versuchung".

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  2. Voici la traduction que je propose :
    Ô notre Père céleste
    Qu'on te reconnaisse pour qui tu es !
    Que ton règne vienne.
    Comme au ciel, que ta volonté soit faite sur la terre,
    Donne-nous aujourd'hui ce qu'il nous faut de nourriture.
    Pardonne-nous le mal que nous avons commis, comme nous avons pardonné à ceux qui nous ont fait du mal.
    Ne nous permets pas d'être conduits vers la tentation,
    Mais sauve-nous du Tentateur,
    Parce qu'à toi sont et le règne, et la puissance, et la gloire, pour toujours.
    Amen !

    Explications : sanctifier le nom n'est pas communément compris. Un collègue a proposé aussi "que tout le monde sache qui tu es".
    - mettre en début de phrase "comme au ciel" signifie qu'au ciel déjà la volonté du Père est faite et donc qu'elle doit être faite pareillement sur la terre.
    - ce qu'il nous faut, plutôt que "quotidien" un peu vieillot, pour un mot très difficile à traduire et nourriture plutôt que pain, d'après le sens hébraïque.
    - remettre les dettes (litt.) donne bien l'idée de pardon (cf. Luc 11. 4) mais le deuxième emploi du verbe est bien au passé (aoriste). Notre Père nous pardonne quand nous sommes nous-mêmes dans une attitude de pardon.
    - soit on prend la forme du verbe "conduire " (eisphero en grec) comme un impératif permissif, réminiscence du hiphil hébreu (causatif), ce qui donne "Ne nous permets pas d'être conduits", soit on la prend comme un aoriste prohibitif, ce qui donne, comme la Bible à la Colombe "Ne nous laisse pas entrer".
    - le eis (en grec) indique un mouvement, une direction et peut très bien être rendu ici par "vers" ou "jusqu'à" plutôt que "dans".
    - du Tentateur, c'est-à-dire du Malin (masculin, le diable), plutôt que du mal (neutre, formes identiques dans le texte grec).

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